Le chat électrique
A genoux devant un monticule de terre meuble, il rafistole des fleurs, remet un bocal en place, caresse du plat de la main les lettres à moitié usées qui indiquent encore le nom du présumé dormeur descendu rêver, un soir d’été, à l’hôtel des raides voyageurs.
- La nuit, ce type aimait longer les murs de la rue Marcadet, dit-il.
Il se relève. Tourne et retourne le médaillon. Crache dessus, le frotte sur sa manche et observe à nouveau le portrait.
- Il marchait en fumant des Carpati. Disait connaître Gherasim Luca… Passait en miaulant devant chez Yves Martin…
J.C., debout près de l’ex croque-mort, hoche la tête avant de désigner du menton la tombe, ou ce qu’il en reste : un dôme, des fleurs artificielles, une plaque presque rouillée…
L’autre le fixe, hausse les épaules et se décide à rendre l’objet.
- Peu importe son nom et son itinéraire. Il y avait en lui du givre, des idées noires. Une guerre, un exil et des écharpes de brume qui à la fin dansaient sur les draps tordus de la Seine… Pour moi qui l’ai mis en boîte, il est (et restera) Le Chat électrique. Cela lui va bien. Notez encore les dates : Bucarest, 1917 – Paris, 1973. Et rappelez que cet homme, qui fut funambule - et à ce titre écuma l’Europe de cirque en cirque - est mort bêtement, pantin ébouriffé en haut d’un poteau, superbe mais raide, et bleu nuit, je m’en souviens, du 220 plein la paillasse.
Jacques Josse