Sur les quais (extraits, IV)

Publié le par maya


Il y eut deuil et volets fermés, horloge muette, candélabres vacillants, prières chuchotées, mouchoirs humides,  proches  rassemblés sur des chaises basses autour d’un lit désert. Le portrait de l’absent, rieur, en ciré jaune, debout près d’un coquillier,  semblait les narguer, exposé entre soliflore et crucifix  sur la table de chevet. A la fin, le père déclara qu’il aurait préféré voir la terre s’ouvrir. Une demie toupie de béton aurait, selon lui, suffi pour solidifier les parois et le fond de la fosse. On l’aurait posé là, dans nos parages, paisible, vêtu d’une vareuse et d’un jean, entouré, dans un beau mauve de chambre intérieure, de quelques objets fétiches.   




















Face à l’écluse, Le Valparaiso craque de partout. Titus, le barman, a mis John Lee Hoocker pour calmer le jeu. Il s’active, sert les hommes pris dans de longs monologues entrecoupés de rires, d’éclats, de quintes, de pleurs... Il voit leurs visages à l’envers,  déformés par les bonds imprévus de l’alcool vibrant à cent à l’heure dans leurs veines. Ne s’amuse pas,  capte leurs mimiques, craint  les bisbilles à venir, sait que tout est écrit  dans les reflets mordorés du zinc sur lequel il passe une éponge mouillée, glissant de la moustache blonde de Bob, le croque-mort, aux lunettes noires de l’aveugle sans oublier de moucher un morveux et d’humecter  le foulard (cachant le trou à la gorge) d’un qui devra retourner à l’hosto sitôt la fête terminée.





















Il s’approche d’un colosse aux dents de métal. Désigne un homme sur une photo de groupe. L’autre répond yes, c’était un soir d’hiver. Il commençait à neiger. Une poudreuse incapable de recouvrir les flaques sales qui stagnaient aux abords du trottoir. Je buvais à l’intérieur. Lui faisait le pied de grue à l’entrée du bar. Il semblait nerveux. Fumait clope sur clope. S’apprêtait à acheter un bateau. Il attendait le vendeur,  le cow-boy de  Plourivo, ce type  qui  circule en mobylette et dont on ne voit que les yeux,  le reste du visage  étant  (suite à un suicide raté) dissimulé par un grand mouchoir à carreaux plié en forme de triangle.


(Ce texte a paru aux éditions Traum
fabriK)

Jacques Josse
 



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